Daniel Bechennec

« Donc, tout petit déjà, Daniel BECHENNEC dessinait des avions . . . Lorsqu’on l’interroge sur la naissance de sa vocation d’illustrateur aéronautique, le solide Breton répond avec un point d’interrogation. Pourquoi l’aéronautique ? Je ne sais pas. Peut-être est-ce, à dix ans, la lecture du « Grand Cirque » de Clostermann. Une année, je suis tombé sur ce livre chez mes grands-parents, dans le Finistère, où je passais mes vacances. Je me souviens d’un avion en flamme sur la couverture. Une image sans doute un peu naïve, mais propre à capturer l’imagination d’un enfant. Avions, trains, voitures, le petit Daniel enchaîne les croquis, avec une préférence marquée pour les scènes aériennes. Lorsqu’en classe de 6ème, un professeur de dessin demande à ses élèves d’illustrer un accident, le jeune BECHENNEC se laisse aller à dessiner une scène de la Bataille d’Angleterre, avec Spitfire et Hurricane. « Un accident de l’histoire en somme . . . « , justifie-t-il ! trente ans plus tard … Tout comme BECHENNEC s’était laissé capturer par l’illustration du « Grand Cirque », ses couvertures du « Fanatique de l’aviation  » ont saisi plus d’un lecteur de la presse aéronautique, et pas seulement des enfants. Nul n’est besoin d’être exégète confirmé pour reconnaître une couverture de BECHENNEC entre mille. Les images sont percutantes, les perspectives décoiffantes, l’exactitude technique toujours présente, tout comme les visages, qu’ils soient en gros plan ou plus en retrait. Car il n’est pas d’aviation sans hommes, depuis le pilote d’essais dans son Triton, jusqu’au mitrailleur agrippé à ses armes, debout dans le poste arrière d’un Bristol Fighter. Les illustrations de BECHENNEC allient souffle épique, éclairage somptueux et précision du trait. Au hasard des brochures et des magazines feuilletés, on retrouve également sa signature accompagnée du triskèle breton au service des plus grands noms de [‘industrie aéronautique française : Aérospatiale, Dassault, Euromissile, Eurocopter … Tout semble simple. Illustrateur reconnu et apprécié, bourré de talent, BECHENNEC serait-il un artiste installé et comblé, au sommet de son art? Rien n’est moins sûr.

Comme tant d’autres qui ont choisi de vivre de leur art et de mener leur barque seuls, l’existence de Daniel BECHENNEC ressemble à un périlleux exercice de trapèze volant, où les années d’expériences éloignent les risques de chute, sans jamais totalement les éliminer.

Une vocation née aux forceps.

Selon ses propres termes, l’idée de vivre de son talent lui est venue par élimination, par défaut, faute de vouloir faire autre chose. « Au lycée, je faisais le minimum pour ne pas avoir d’emm … « , avoue-t-il. « Je dessinais pour moi, pour les copains, parce que c’était ce que je faisais de mieux. On est reconnu par ce que l’on fait à peu près bien et il est toujours agréable de recevoir des compliments ». Son bac en poche, Daniel BECHENNEC s’inscrit au Beaux-Arts en 1968. Il s’agit avant tom pour lui de bénéficier d’un sursis militaire. « Les Beaux-Arts en 1968, c’était un souk indescriptible, à peine croyable … Je passais ma vie à me promener sur les quais ou à refaire le monde au café avec les copains … Les Beaux-Arts ont été un malentendu, continue-t-il. J’y ai très peu travaillé, je n’y ai rien appris. J’ai passé mon UV d’anatomie en étudiant tout dans un bouquin. Je n’ai jamais passé mon diplôme final, ce qui est somme toute sans importance, car dans ce métier personne ne vous demande vos diplômes. Je ne me suis même pas présenté à l’accrochage final des travaux des élèves ». Puisqu’il faut faire court, écrivons simplement qu’au début des années 70, l’artiste en herbe s’aperçoit qu’il lui faudra bien finir par travailler un jour ou l’autre. Sur les conseils du père d’une petite amie, il va sonner chez Robert Laffont où il présente une ébauche de dossier. Après un essai concluant, BECHENNEC signe quelques couvertures de livres. Le travail vient tout doucement. Il balance entre son statut d’étudiant, des petits boulots obscurs et une carrière difficile à amorcer. « La situation était mitigée. Pas vraiment la galère, n’exagérons rien . . . « . Pas loin, cela signifie parfois des semaines sans travail. Le « Fanatique de l’aviation » lui commande des couvertures.  » Ce n’était pas de gros budgets, mais c’était toujours ça de pris et ça permettait de garder la main ».

Les tourments de la vie d’artiste.

De fil en aiguille, il en viendra à travailler pour la publicité et la bande dessinée. Quelques collaborations à Fluide Glacial, Métal Hurlant, Mormoil ponctuent.sa carrière.  » J’avais des propositions intéressantes dans la BD, mais j’ai fini par refuser l’obstacle. Psychologiquement, je n’y arrivais pas, j’avais peur de l’effet tunnel, de devoir fournir des dizaines de pages d’affilée et de ne pouvoir m’en échapper. C’est une forme de trac. J’ai des copains qui font ça la fleur au fusil. Je les envie vraiment… C’est pour cela que l’illustration me convient mieux. Je suis finalement quelqu’un d’assez angoissé », avoue-t-il.  » L’absence de travail me fait peur parce que je ne sais pas ce que Je vais devenir dans un mois ou dans un an. Globalement, l’an passé a été une bonne année. J’ai très bien travaillé de janvier à juillet, sept jours sur sept. Puis à la rentrée, en septembre et octobre, pratiquement plus rien. Mais à J’inverse, chaque commande me donne le trac. Même avec vingt-cinq ans de métier, je suis anxieux quand je ramène du travail. La peur de mal faire, de ne pas satisfaire le client, l’angoisse de la feuille blanche, du compte à rebours qui a commencé … « . La récompense, c’est la satisfaction d’être arrivé à faire quelque chose de difficile. « On se sent bien dans ces moment-là,… Si Daniel BECHENNEC travaille seul, c’est plus par nécessité que par goût.  » Je ne suis pas un solitaire dans l’âme. Il m’est parfois difficile de supporter le face à face: avec la planche à dessin. Mais si j’aime bien la convivialité, la chaleur du petit groupe. Je sais que je ne pourrais pas travailler dans un capharnaüm. J’admire ceux qui arrivent à bosser au café! « . A une époque où son travail ne marchait pas, BECHENNEC avait tâté du travail salarié, dans une petite agence de communication pour laquelle il réalisait des « roughs » (esquisses) et des illustrations. « L’agence occupait une ancienne épicerie désaffectée et nous étions pratiquement en vitrine, avec des voilages pour nous dissimuler de la rue. On était une demi-douzaine là-dedans. Chacun faisait son boulot, ça gueulait au téléphone, les portes claquaient. J’ai tenu deux ou trois jours. A la fin, j’ai demandé au patron si ça ne le dérangeait pas que je finisse le boulot à la maison … Ça a été la fin de l’expérience. Si j’avais été correctement installé, je crois que j’aurais pu persévérer. Après les années pub, BECHENNEC bifurque vers l’industrie aérospatiale et la défense.  » On bifurque par opportunité, par contact. En l’occurrence, l’opportunité s’appelait Patrick Mercillon, directeur de la communication d’Aérospatiale ». Après avoir vu une couverture du  » Fana de l’aviation » Mercillon avait contacté BECHENNEC pour lui proposer du travail.

Illustrer l’industrie française.

On était en 1989, et il s’agissait de décorer le stand de l’Aérospatiale au salon du Bourget. Un travail considérable, une véritable fresque reprenant toutes les productions de la société! « A l’époque, j’étais en plein divorce, à ramasser à la petite cuillère. Psychologiquement, je ne me sentais pas capable d’accomplir ce travail. Plutôt que de dire oui et de risquer d’abandonner en cours de route, j’ai préféré refuser le travail. Mercillon était désolé, incrédule. Il a insisté, essayé de me convaincre, sans succès … Mais il a été charmant: il ne m’a pas tenu rigueur de ce refus et m’a recontacté deux ans plus tard. J’ai alors commencé à travailler pour l’Aérospatiale et, de fil en aiguille, pour toute l’industrie du secteur ». Dassault, Aérospatiale, Euromissile, Giat Industries, Eurocopter, les plus grandes sociétés françaises lui ont confié les illustrations de leurs productions. Pour BECHENNEC, qui avait arpenté en vain les grands salons professionnels son book sous le bras quelques années plus tôt, c’est une belle victoire. « C’est un premier pas vers la reconnaissance de l’illustration en France. Mais notre pays reste assez hermétique à ce mode d’expression. Le dessin n’est semble-t-il pas assez pris au sérieux. On est encore très loin de la situation qui peut exister aux Etats-Unis où les illustrateurs jouissent d’une véritable reconnaissance, jusqu’à disposer de leur propre revue ».

La clientèle industrielle loue, chez BECHENNEC, le souci du détail, le goût de la précision, du travail bien fait. « J’ai une structure psychologique de pinailleur, admet-il. Je ne supporte pas de décrocher d’un truc si je ne suis pas allé jusqu’au bout du dernier petit boulon. Je n’ai pas la tendance impressionniste et je le regrette parfois, car ça me simplifierait la vie: par moment on devient cinglé à pinailler jusqu’au moindre détail! ».

L’aéronautique fantasmée.

Après avoir illustré des gammes entières de missiles et d’hélicoptères, BECHENNEC a largement fuir le tour du sujet. L’artiste est dépendant de l’état de l’industrie et son activité fluctue au rythme de l’économie. En parallèle, il continue avec la publicité, décroche de nouvelles commandes, comme par exemple l’affiche des Salons des Avions de Légende, une de ses réalisations récentes qu’il cite le plus volontiers : « Cette illustration représente l’aviation que j’aime, celle des Corsair, B-17 et autres avions mythiques. L’aéronautique est complètement fantasmée chez moi. C’est un monde intérieur, c’est de l’aéronautique en chambre. Piloter un Cessna dans un aéro-club, faire des tours de piste et endurer l’administration, ce n’est pas mon truc. Que les lecteurs d’Info-Pilote me pardonnent! Pour moi, l’aviation, c’est les Canadair de la Sécurité civile, c’est Spielberg et l’Empire du soleil, avec le Mustang qui passe en radada et le pilote qui salue le gamin. Il doit y avoir du bruit, de la fureur, une part de rêve … ». Une pause. C’est l’instant que choisit un moyen-courrier en approche sur Orly pour passer au-dessus de son pavillon de Sucy-en- Brie. « L’aviation commerciale me fait moins rêver « , ajoute BECHENNEC, en pointant le doigt vers le plafond. Puis il se ravise. « Il ne faut pas le dire comme ça! Je vais me faire engueuler. Ça, c’est un peu mon problème. Je dis trop facilement ce que je pense et je ne me fais pas assez mousser. Je ne prends pas assez l’air mystérieux en parlant de mon travail. C’est impardonnable à l’époque où les artistes doivent être bavards. Ce n’est pas facile de se vendre et ça fait rarement bon ménage avec l’esprit créateur. Beaucoup de gens ont résolu le problème en prenant un agent. J’en ai eu un à une époque, mais il a fini par partir avec la caisse en Amérique du Sud. Ça ne s’invente pas! Coup de pot, je n’étais plus avec lui quand c’est arrivé … « .

Semeur d’empire.

BECHENNEC, qui cite Norman Rockwell, les peintres pompiers et les balades en forêt, semble parfois être mal à l’aise, déphasé par rapport à la société dans laquelle il vit. Ne voudrait-il pas n’être qu’un dilettante doué pour échapper aux contraintes mercantiles?  « Je fonctionne avant tout à l’affect », reconnaît-il. « Ma vie personnelle prend énormément de place dans ma vie: professionnelle. Quand j’étais gamin, c’était déjà comme ça, je travaillais pour faire: plaisir à la maîtresse ou au prof. Aujourd’hui encore, ça continue: j’ai besoin d’une muse, de quelqu’un qui va donner un sens à mon travail. Je ne suis pas un bâtisseur d’empire, ce n’est pas dans ma nature ».

Avec ses illustrations, BECHENNEC fait bien mieux que de bâtir un empire. Il perpétue l’idée d’une aviation propre à faire rêver et il éveille les vocations. Les empires qu’il aura fait naître se compteront alors peut-être un jour en centaines, en milliers … »

Frédéric LERT – INFO PILOTE – 1998

 

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